Compétitif
(Venise, Cannaregio, 23 janvier)
Ce sont des squatters qui l’ont trouvé. Un jeune couple venu là pour s’aimer après avoir fracturé la porte. La maison semblait abandonnée depuis des années. A l’intérieur tout était impeccablement rangé sous une épaisse couche de poussière. L’homme était assis sur une chaise de rotin, le corps affalé sur un plateau de Scrabble posé sur une table. Son visage, ses mains étaient momifiés. Ses cheveux étaient très longs, noirs avec quelques mèches grises. Ils portait une chemise à petits carreaux fermée au col, un gilet de laine à losanges et un pantalon de velours gris. Des vêtements propres mais usés. Seul le pantalon était taché, une tache large, brune, sèche. Difficile de lui donner un âge avec cette peau parcheminée, mais il ne semblait pas si vieux, moins de soixante ans. Sur la table il y avait un répertoire avec une reliure de cuir. La plupart des pages étaient vides, une adresse et un numéro de téléphone à la lettre M, maman, deux numéros de téléphone à la lettre D, Daniel et Docteur, et un numéro à la lettre O, monsieur Olivetti. C’est tout.
La tête de l’ homme reposait sur les lettres du jeu à peine déplacées. L’homme devait jouer seul au moment de son décès. Deux porte-lettres, l’un à sa gauche, l’autre à sa droite, dirigés dans sa direction, et une feuille de décompte des points avec deux colonnes, l’une à son nom, l’autre à son prénom, en attestaient. Dedante Salvatore, le nom sur la boite aux lettres remplie de prospectus publicitaires. Dedante avait 127 points, Salvatore 93.
Les bras de l’homme s’étendaient de part et d’autre du plateau de jeu. Dans sa main droite il tenait la lettre F. La lettre qu’il s’apprêtait à poser quand il s’est effondré, la dernière lettre du mot COMPÉTITIF, dont le deuxième T était sur une case mot compte triple.
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