mercredi 28 novembre 2018


Le jour ou Rick Delaveine a rencontré Roger Boussac


(Frayssinet-le-Gélat, Lot, 20 novembre)

Osez, osez Joséphine, Bashung chante, la Citroën roule paresseusement, l’automne défile.
Soudain, l’éclat d’un feuillage adossé à la pierre, un passage de bêtes sauvages entrevu, Rick fait demi tour, revient sur ses pas. À l’instant où il coupe le contact, il se rend compte que l’arbre et la pierre surplombent un petit cimetière. De la route, on n’en aperçoit que le mur gris.
Rick regarde les feuilles jaunes, la roche bleue. La lumière baisse, il entre dans le cimetière.
En lettres d’or sur le marbre clair: Roger Boussac. Il ne voit que cette tombe, ce nom.
Un nom qui lui évoque quelque chose… Il cherche… Roger… Il a bien eu un ami qui s’appelait Roger, mais pas Boussac… Il en connaît des Roger, tous bien vivants …Tous bien sympathiques, aimants, se dit-il, ce doit être le prénom qui veut ça.
Mais Boussac, connais pas… Sans doute ce monsieur m’a-t’il fait un clin d’œil pour une conversation. Il s’ennuie sous la terre, il y a longtemps qu’il n’a pas eu de visite.
Bonjour Roger, je m’appelle Rick Delaveine, je passais par là par hasard, il m’arrive de rouler au hasard, je suis batteur, les paysages m’inspirent, la route est ma rythmique, je viens de l’Atlantique. Comment vas tu? Ça fait un bail que t’es là à ce que je vois. Que faisais tu, agriculteur, éleveur, ferronnier, charpentier? Roger Waters, tu connais?  C’est calme ici, il n’y a pas beaucoup de passage. La campagne a pris ses couleurs d’un coup, dominante jaune. Sur les rond-points aussi. Ça s’agite. Un coup je suis d’accord, un coup je ne suis pas d’accord. On ne peut plus se parler, juste s’engueuler, balancer des discours tous faits. Il nous faudrait la douceur des filles, l’amitié des arbres, l’insouciance du canard sauvage. As tu été chasseur? As tu déjà tué? J’ai tué un chat, une fois, un chaton abandonné par sa mère, je pensais bien faire, j’y pense encore. Qu’entends tu là dessous, ou là haut? Je ne sais pas vraiment où tu es, peut-être partout en même temps? Bashung, Higelin, tu les vois, tu les entends? Et mon père? Tu dis rien. Je parle trop, encore une fois. iI faudra que j’apprenne à me taire. Ce n’est pas si facile. Je suis resté longtemps muet, alors quand j’ai osé parler…Taper sur la peau, ça remplace. Batteur, c’est mon métier, je viens de composer un morceau, une valse pour deux vaches et un héron, ça commence dans le brouillard. Si ça se trouve tu n’aimes ni le rock ni le jazz. Peut-être même que tu t’en fous de la musique et des mots. Moi ça me tient debout, c’est mon carburant, c’est pas taxé, je fais le plein partout où il y a de l’air, au soleil ou sous la pluie. Tu connais l’histoire du fou qui se prenait pour un grain de riz? Peut-être bien que tu n’aimes pas les histoires drôles non plus? Il doit y en avoir un paquet à se raconter là bas à nous voir marcher cul par dessus tête. Bon, tu ne dis toujours rien. Je vais te laisser. Content de t’avoir rencontré Roger. Je ne sais pas pourquoi mais je t’imagine avec de grandes mains rugueuses et un rire tonitruant, un rire bien plus fort que tous les babillages autour de la table. Allez, salut, je m’en vais. Oh juste une dernière phrase avant de partir, quelques mots d’un poète que j’aime bien, Pierre Albert Jourdan, un gars discret: « Le papillon applaudit la fleur qui consent ». Voilà, une phrase comme ça, qui passe, comme cet éclat que tu as mis dans les feuilles. Salut Roger.
Rick a refermé soigneusement la grille du cimetière, a jeté un dernier regard sur l’arbre, sur le passage, cherchant les traces d’un quelconque animal, puis a repris sa route en se jurant d’être moins bavard la prochaine fois qu’il rencontrerait un mort.

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