samedi 24 novembre 2018


Le regard du poisson


(D80, Pont suspendu de Carennac sur la Dordogne, Lot, 22 novembre)

Un pont suspendu, le bois claque, la brume avale, Rick va piano, il ne sait pas trop où, la vie en sourdine.
Un dé qui vrille, l’as à l’est, le trois au sud, le six à l’ouest, le quatre au nord, le cinq au sol, le deux au ciel, un coup de dé, pour une histoire d’amour, ou pour rien, pour s’effacer, laisser faire, retourner à la terre.
Rick ne sait vraiment pas où il va. Il y a un passage dans ce bouquin, La Rage de Vivre de Mezz Mezzrow, des mecs chargés à bloc dans le brouillard, une bagnole, une vache, il ne sait plus trop, faudra qu’il le relise, un bon bouquin.
C’est bien parfois de ne pas savoir, même si ça fait peur. Un jour, parti en retard pour un concert, à cause d’une fille, encore, il a pris un  raccourci, une piste boueuse en pleine forêt. Fallait pas traîner, sinon tu restais scotché dans les ornières avec la voiture de loc dernier cri. Il a foncé en espérant bien tomber sur du bitume. Y a le cœur qui tape aussi vite que la caisse et de la joie qui monte. C’est un peu ça ce matin, mais tout au ralenti, une douce incertitude.
Au bout du pont, Rick s’arrête.  Il descend au bord de la rivière, ses mocassins sont trempés. Accroupi il plonge ses mains dans l’eau, s’asperge le visage, l’eau est glacée. Un poisson saute, juste devant lui. Il jurerait avoir vu son regard, un clin d’œil fraternel.

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