Au mois d'août à Vaucresson
(Vaucresson)
Pas un cri, pas un rire, un grand vide. À Vaucresson, petite ville bourgeoise de la banlieue Ouest, les enfants sont partis en vacances, le square est désert. Le jardin est à mi chemin entre la maison de Colette et le super-marché. Colette fait ses courses à quinze heures trente, le lundi et le jeudi . Au retour, il est seize heures trente quand elle repasse devant le square tirant son caddie trop lourd, Colette achète souvent des trucs qui ne lui servent à rien, elle aime bien.
C'est la sortie de l’école. Les nounous - à Vaucresson il n’y a que des nounous africaines pour des mômes vêtus à la dernière mode - amènent les gosses au square, histoire de papoter avant de rentrer préparer le goûter. Colette s’assoit sur un banc, on la connaît, on lui fait une place, et elle reste là un moment, profitant des conversations animées et du pépiement des petits.
Aujourd’hui, Colette fait juste une petite pause. C’est le mois d’août, les pioupious se sont envolés, c’est comme ça qu’elle les appelle les mômes de son quartier, les pioupious.
Elle regarde le ciel. Ce matin il était parfaitement bleu, maintenant il est pavé de nuages blancs. Elle se souvient qu’elle a laissé les fenêtres ouvertes, il ne faut pas tarder. Elle accélère le pas.
Dans son petit immeuble, il ne reste qu’elle, personne pour l’aider à monter le caddie au premier étage. Elle grimpe marche après marche, halant le chariot qui roule sur les rebords. Elle prend le temps de souffler avant de sortir ses clés. Trois tours, il faut bien fermer sa porte, surtout au mois d’août, lui a-t-on dit. Elle ouvre et referme, trois tours. Il ont mis des affichettes à la mairie pour les "Voisins vigilants" mais ça ne sert à rien, ils sont tous partis. Elle range ses commissions, le frais dans le frigidaire qui givre de plus en plus, les provisions avec les provisions. Ah, elle a encore acheté des boites de foie de morue, il y en avait déjà quatre d’avance. Et ce qui ne se mange pas et ne sert pas à grand chose elle le laisse sur la table, en attendant.
Au mois d’août Colette s’ennuie un peu. Le square est désert, ses copines de Scrabble sont en vacances chez leurs enfants, personne ne passe dans la rue, rien à regarder par la fenêtre, si ce n’est le balancement des feuilles qui pâlissent déjà.
Les seuls qui ne semblent jamais prendre de repos sont les démarcheurs téléphoniques. Colette répond systématiquement, ça l’occupe. Hier elle est restée un quart d’heure avec un homme qui voulait changer ses fenêtres. Elle lui a décrit les huisseries, la peinture qui s’écaille, le bois gonflé, comme c’est difficile de faire les vitres à son âge, la vue sur la rue où les petits commerces ferment les uns après les autres, elle lui a demandé s’il était marié, s’il avait des doubles vitrages, elle, elle préfère les simples vitrages, elle aime les bruits du dehors, la rue, les enfants, les oiseaux. Elle ne cessait de parler, l’homme ne pouvait en placer une, c’est lui qui a raccroché, Colette l’a trouvé bien malpoli.
Colette regarde le thermomètre, 28°, il fait un peu moins chaud, c’est bien, elle boit un verre d’eau, ça aussi c’est sur les affichettes, il faut boire, comme si elle n’était pas capable de savoir quand il fait soif.
Personne ne viendra la voir aujourd’hui, alors elle s’installe dans son fauteuil avec la boite qui contient toutes les lettres d’amour qu’elle a reçues. Elle les relit pour la nième fois à haute voix, en prenant bien le temps de se remémorer chacun de ses correspondants, leur voix, leur odeur, leur façon d’aimer. Ainsi le temps passe agréablement.
Au mois d’août à Vaucresson, Colette s’ennuie un peu, ça la repose, ça lui fait des vacances.
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