Abandon de poste
(Hendaye, 17 septembre, 20h 40)
Rouler nuit et jour. Les dimanches sur les aires d’autoroute. Télés, cafetières, machines à laver
il ne sait plus ce qu’il transporte. Il a fait un détour pour voir la mer. Un urgent besoin de quitter le tracé. Le trente huit tonnes est bloqué dans une rue étroite qui va vers la plage. Abandon de poste, il court vers la mer. Le camion reste là, warnings allumés. Derrière on s’impatiente, on klaxonne. Lui est déjà loin, au bout de la plage, les pieds dans l’eau. Il regarde le ciel. Des traces de pneus, dans le ciel. Freinage brutal. C’est ici que je vais vivre, la route s’arrête là. Changer de nom, disparaître, les pieds dans l’eau. Plus de nouvelles, personne ne sait ce qu’il est devenu. Son patron a envoyé un autre chauffeur pour rapatrier le poids lourd. Il a fallu deux jours pour le dégager. Impossible d’avancer ni de reculer. On l’a vidé. On a fait venir un hélicoptère pour les lourdes charges. La photo du véhicule dans les airs a fait la une du Sud-Ouest.
J’ai croisé le chauffeur au bout de la plage. Barbu, cheveux décolorés par le sel, peau tannée. Il avait une vieille planche de surf, une Barland rouge et blanche rafistolée de partout. C’est lui qui m’a raconté son histoire. Ricardo Lopez, c’est son nom maintenant. Je me suis souvenu du camion abandonné , de la rue bloquée. De la photo dans le journal qui circulait entre toutes les mains au Bar de la plage. On en en a parlé pendant des semaines. Il y avait ceux qui avait vu, ceux qui avait lu, et ceux à qui on avait dit.
C’est là, au Bar de la plage qu’il vient chaque matin boire son café. Personne d’autre que moi ne sait qui il était.
Quand on reparle du camion, des années après, il éclate de rire.
A wonderful picture, and a marvelous story.
RépondreSupprimer