L'Effort
Ici, ça aurait pu s’appeler Les Bleuets, Bel Accueil, Le Mont Aurélien, la Résidence Rachel, ou Jouvence Castel, mais ce n’est qu’un mot latin qui sonne comme une banale chaîne hôtelière.
Ils sont quatre devant la télévision. Deux hommes, un père et son fils, deux femmes. On a posé les trois vieux là, face à la télé après le repas. Le fils vient de les rejoindre. Impossible de savoir ce que voient les trois vieillards, ce qu’ils entendent, ce qu’ils comprennent.
A l’écran, le cycliste est en plein effort, son visage est à moitié couvert par le casque et les lunettes mais on le voit grimacer. Comme grimace la petite vieille en face près de la fenêtre, quand elle essaye d’atteindre la poignée pour un peu d’air, où l’autre à côté qui tente de porter son gobelet à ses lèvres malgré d’incessants tremblements, et le vieux qui veut dire quelque chose à son fils, mais c’est si difficile, la voix est faible, les mots font défaut, ou viennent chahutés et tronqués.
Et le fils qui essaye de comprendre, d’être là, qui utilise mille stratagèmes pour communiquer avec son père.
Alors il y eut cet instant, un instant de grâce après tant d’efforts, quelques secondes dans une après midi d’ennui. La femme prés de la fenêtre a réussi a tourner la poignée et l’air caresse son visage, la femme qui tremble a réussi à porter le gobelet à ses lèvres et le jus de pommes sucré et frais coule dans sa gorge, le fils a montré une photo à son père et le visage du vieux s’illumine, il prononce le prénom de sa femme, et le nom du pays d’Afrique où ils vécurent quelques temps, il demande au fils de lui donner la photo et il la montre fièrement à sa voisine. Au même instant le cycliste passe la ligne d’arrivée.
( Saint-Cloud, 7 juin)
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