mercredi 31 janvier 2018


La Papete


(Tartas, Landes)

Chaque matin je marche jusqu’à la Papete. La Papete c’est mon sang qui bat, un phare au milieu des arbres, le panache de Tartas, l’usine Tembec, anciennement Cellulose du Pin. En 1994, Tartas a failli perdre  son panache. L’usine allait fermer, plus rentable. Trois cent ouvriers sur le carreau, une ville sans avenir. Avec mes camarades on s’est battu, toute la ville s’est mobilisée, l’usine a été rachetée, transformée, tous les emplois ont été sauvés.
J’ai pris ma retraite en 2011, le métier avait changé, il était temps de s’arrêter, j’ avais le souffle court. La Papete ne m’a pas fait que des  cadeaux, capacités respiratoires et auditives en baisse, mais cela n’entache en rien mon amour. Il y a la Papete et Solange. Solange ma femme me taquine, elle m’appelle parfois Papète. Lorsque j’étais enfant je croyais qu’on appelait l’usine Papete à cause de cette fréquente odeur de flatulence. Maintenant ce n’est plus une papeterie, c’est une bioraffinerie, c’est chic comme mot, comme les nouvelles combinaisons jaunes des ouvriers. Avec Solange  on n'a jamais quitté Tartas. Tout au plus on est allé jusqu’à la mer, deux ou trois fois. L’usine, Solange et la forêt m’ont toujours suffi. L’odeur de l’usine, l’odeur des pins, le parfum délicat de Solange, c’est mon territoire.
Voilà ce que m’a raconté l’homme planté les mains dans les poches au bord de la route quand je me suis arrêté ce matin à six heures trente pour photographier les fumées.
Il s’appelle Christian, il a rajouté: ouais, c’est la nuit qu’elle est la plus belle, on lui voit les veines.

1 commentaire:

  1. "c'est la nuit qu'elle est belle on lui voit les veines"
    magnifique
    je travaille de nuit et cette phrase "m'interpelle"
    :-)

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