lundi 14 décembre 2020


La maison aux galets


(Cayeux-sur-Mer, Somme, 20 novembre 2019, 12h)


La route entre la plage et les carrières de gravier est défoncée, des trous plein d’eau qu’il faut éviter en zigzaguant pour ne pas éclater un pneu.

Ici en plein vent c’est le pays du galet. Le galet qui roule avec la marée, le galet que l’on ramasse encore à la main pour le charger dans des pelleteuses qui feront des tas gris-bleus destinés à l’industrie céramique, le galet calciné, broyé, utilisé pour les peintures, la faïencerie ou les bétons, le galet porté par la mer, qui vient des hautes falaises du pays de Caux, des falaises qui se sont effondrées sous les coups de boutoir de la mer déchainée, le galet qui en a vu, de sa chute de vulgaire morceau de falaise éclatée jusqu’à la pierre ronde qui tient dans la main.

Je passe et repasse devant cette maison posée là en haut de la plage à quelques pas de la mer, une maison qui sent l’abandon, une maison de peu que j’imagine habitée autrefois par un homme roulé, usé comme les galets trimbalés sur cette terre. 

Je crois voir une main derrière la grille rouillée qui ferme l’entrée. La curiosité est trop forte. Je me faufile sous le grillage et cherche un passage pour pénétrer dans la maison. En la contournant je trouve un volet battant, face à la mer. Quelqu’un déjà a du forcer une fenêtre pour explorer cette bicoque délabrée,  peut-être cherchait-il simplement un toit pour s’abriter. Calais n’est pas très loin de Cayeux.

J’entre. Il y a un homme assis sur un fauteuil de rotin. Il ne bouge pas, il me regarde intensément, sans ciller. C’est un homme sans âge, un homme du sud, un homme d’orient. Sa peau est mat, tachée, se confond à ses vêtements, aux murs décrépis. 

Le sol de la pièce est jonché de galets, plusieurs épaisseurs. Par une porte ouverte, je vois  le tapis de pierres jusque dans un couloir puis un escalier, partout des galets entassés.

Et ce ne sont pas des galets ronds et lisses, ils ont toutes les formes et tailles imaginables et surtout sur beaucoup d’entre eux semblent se dessiner des visages. 

L’homme qui me regarde en tient un dans sa main. Il me le tend, sans rien dire, ses yeux vrillés dans les miens.

Je prends la pierre,  je reste là face à cet homme, je ne sais pas quoi faire de ce présent. Est-ce seulement un présent? J’ai peur. C’est le silence de l’homme qui me fait peur. Il me fait alors signe de m’en aller, un geste bref, clair, autoritaire. Je pars, vite, sans me retourner.

Je suis maintenant à mon bureau, le galet posé à coté de la machine à écrire. Le galet me regarde.

Il est tard. Je ne peux pas aller dormir.



(Le Hourdel, Somme, 30 septembre,16h 30)

1 commentaire:

  1. A story to be thought off again tomorrow... Your world is filled with things most people overlook.

    RépondreSupprimer