vendredi 8 janvier 2021


Cœur de bois

(Forêt de Marly, Yvelines, 15h 15)

Ciel gris, sol boueux.

Du bois coupé pour construire les palissades de Fort Alamo.

Un vieux fauteuil pour faire un trône.

Le bouillant désir de jouer tandis que les théâtres restent fermés.

Sur ce parking en forêt de Marly me revient la mélodie d’un poème de  René de Obaldia, extrait des Innocentines, que je chantais lors de l’un de mes tout premiers spectacles:


Cœur de bois


Amandine si hautaine

Amandine au cœur de bois

Ce soir, je serai ton Roi.

Si tu veux, tu seras La Reine.


J’ai ôté mon tablier

J’ai mis mes plus beaux souliers

Dans ma poche des sous neufs

Pour les distribuer aux veufs.


Comme trône j’ai le fauteuil

Du Grand Oncle Cancrelat

Qui fume dans son cercueil

Une pipe en chocolat.


Ma couronne vif argent

Vient tout droit du pâtissier

Sur mes épaules flottent un drap

On se cachera dedans.


Le fauteuil est à roulettes

Quelle aubaine pour un Roi!

je le déplace et les traitres

Frappent au mauvais endroit. 


Amandine tes yeux verts

illuminent toutes mes nuits.

je voudrais t’écrire en vers

Quand je serai plus instruit.


Amandine, tu m’as dit .

« Je viendrai sept heures sonnées.

Je viendrai dans ton grenier

Avec ma chemise à plis. »


L’heure passe et je suis là

Ma couronne pour les rats !


Ah ! ce bruit de patinette !

Mais non, ce n’est pas ici.

Le sang me monte à la tête

J’entends les cloches aussi.


Et pourtant, je suis le Roi !

Tu devrais, genou en terre,

Baiser le bout de mon drap

Et pleurer pour la manière !


« Madame, relevez-vous »

Te dirai-je noblement !

Et sur tes lèvres de houx

T’embrasserai jusqu’à cent.


L’heure fuit , mes oripeaux

Juste bons pour les corbeaux !


Amandine, tu te moques

Tu te ris toujours de moi.

Quand tu remontes tes socques

Je tremble et ne sais pourquoi…


Amandine, je vais mourir

Si vraiment tu ne viens pas.

Je t’ordonne de courir

De grandir entre mes bras !


Le silence, seul, répond

Aile blanche sur mon front.


Le grenier comme un navire

Se balance dans la nuit.

Le trône vide chavire

L’Oncle fume en son réduit.


Amandine sans foi ni loi

Amandine ne viendra pas.

Jamais elle ne sera Reine

D’Occident ou de Saba.


Jamais elle ne régnera

Sur c’qu’il y a de plus sacré.

Peste noire ou choléra

Jamais ne pourra pleurer.


Et pourtant comme je l’aime

Amandine des chevaux d’bois

De Jean-Pierre et de Ghislaine

De tout le monde à la fois !


Et pourtant comme je l’aime

(À mes pieds tombe le drap)

Amandine si hautaine

Amandine au coeur de bois.



L’émotion est intacte.

Nous étions quatre sur scène, Catherine, Philippe et moi jeunes et fougueux comédiens, et Didier, pianiste et compositeur. Le spectacle conçu et mis en scène par Jacques Hadjaje se composait d’une sélection de  poèmes des Innocentines dont certains, comme celui-ci, avaient été mis en musique. Je ne chantais pas très juste ni en rythme mais avec une émotion des plus sincères. Des années plus tard Didier, le pianiste, m’avoua avec tendresse et élégance combien  il en avait chié avec moi…

Nous avions rencontré à cette occasion René de Obaldia qui me semblait déjà faire partie des « anciens ». C’est nous qui étions des gamins, nous étions en 1982.

René de Obaldia a aujourd’hui 102 ans et l’esprit toujours vif. Dans un entretien récent, mai 2020 , parlant de la banalité de la mort, il disait « le plus extraordinaire finalement, c’est d’être. » Et il concluait avec une phrase de Jean Cocteau:  « La mort, j’y suis habitué, j’ai été mort si longtemps avant ma naissance. »



1 commentaire:

  1. I love the quote at the end. I've spent much of my life observing. I think that helped me in broadcasting career. I think I will be observing on the day I go.

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