Cœur de bois
(Forêt de Marly, Yvelines, 15h 15)
Ciel gris, sol boueux.
Du bois coupé pour construire les palissades de Fort Alamo.
Un vieux fauteuil pour faire un trône.
Le bouillant désir de jouer tandis que les théâtres restent fermés.
Sur ce parking en forêt de Marly me revient la mélodie d’un poème de René de Obaldia, extrait des Innocentines, que je chantais lors de l’un de mes tout premiers spectacles:
Cœur de bois
Amandine si hautaine
Amandine au cœur de bois
Ce soir, je serai ton Roi.
Si tu veux, tu seras La Reine.
J’ai ôté mon tablier
J’ai mis mes plus beaux souliers
Dans ma poche des sous neufs
Pour les distribuer aux veufs.
Comme trône j’ai le fauteuil
Du Grand Oncle Cancrelat
Qui fume dans son cercueil
Une pipe en chocolat.
Ma couronne vif argent
Vient tout droit du pâtissier
Sur mes épaules flottent un drap
On se cachera dedans.
Le fauteuil est à roulettes
Quelle aubaine pour un Roi!
je le déplace et les traitres
Frappent au mauvais endroit.
Amandine tes yeux verts
illuminent toutes mes nuits.
je voudrais t’écrire en vers
Quand je serai plus instruit.
Amandine, tu m’as dit .
« Je viendrai sept heures sonnées.
Je viendrai dans ton grenier
Avec ma chemise à plis. »
L’heure passe et je suis là
Ma couronne pour les rats !
Ah ! ce bruit de patinette !
Mais non, ce n’est pas ici.
Le sang me monte à la tête
J’entends les cloches aussi.
Et pourtant, je suis le Roi !
Tu devrais, genou en terre,
Baiser le bout de mon drap
Et pleurer pour la manière !
« Madame, relevez-vous »
Te dirai-je noblement !
Et sur tes lèvres de houx
T’embrasserai jusqu’à cent.
L’heure fuit , mes oripeaux
Juste bons pour les corbeaux !
Amandine, tu te moques
Tu te ris toujours de moi.
Quand tu remontes tes socques
Je tremble et ne sais pourquoi…
Amandine, je vais mourir
Si vraiment tu ne viens pas.
Je t’ordonne de courir
De grandir entre mes bras !
Le silence, seul, répond
Aile blanche sur mon front.
Le grenier comme un navire
Se balance dans la nuit.
Le trône vide chavire
L’Oncle fume en son réduit.
Amandine sans foi ni loi
Amandine ne viendra pas.
Jamais elle ne sera Reine
D’Occident ou de Saba.
Jamais elle ne régnera
Sur c’qu’il y a de plus sacré.
Peste noire ou choléra
Jamais ne pourra pleurer.
Et pourtant comme je l’aime
Amandine des chevaux d’bois
De Jean-Pierre et de Ghislaine
De tout le monde à la fois !
Et pourtant comme je l’aime
(À mes pieds tombe le drap)
Amandine si hautaine
Amandine au coeur de bois.
L’émotion est intacte.
Nous étions quatre sur scène, Catherine, Philippe et moi jeunes et fougueux comédiens, et Didier, pianiste et compositeur. Le spectacle conçu et mis en scène par Jacques Hadjaje se composait d’une sélection de poèmes des Innocentines dont certains, comme celui-ci, avaient été mis en musique. Je ne chantais pas très juste ni en rythme mais avec une émotion des plus sincères. Des années plus tard Didier, le pianiste, m’avoua avec tendresse et élégance combien il en avait chié avec moi…
Nous avions rencontré à cette occasion René de Obaldia qui me semblait déjà faire partie des « anciens ». C’est nous qui étions des gamins, nous étions en 1982.
René de Obaldia a aujourd’hui 102 ans et l’esprit toujours vif. Dans un entretien récent, mai 2020 , parlant de la banalité de la mort, il disait « le plus extraordinaire finalement, c’est d’être. » Et il concluait avec une phrase de Jean Cocteau: « La mort, j’y suis habitué, j’ai été mort si longtemps avant ma naissance. »
I love the quote at the end. I've spent much of my life observing. I think that helped me in broadcasting career. I think I will be observing on the day I go.
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