jeudi 31 mai 2018



Frissons


(Duravel, Lot)

Dans le jardin du couvent, sœur Angélique cueille des citrons. Il fait chaud, la cornette lui chatouille la nuque, elle sent couler une petite goutte de sueur le long du dos, jusqu’en bas.
Ils sont beaux ces citrons, un peu tachés, mais parfumés, jolis comme de petits seins aux tétons durcis. Angélique sourit béatement. Merveilleuse après-midi de Mai, tout est frisson, les citrons, les iris, les figues, oh encore bien petites, l’orpin blanc, que l’on nomme aussi trique-madame ou petite joubarbe, et le parfum du céanothe, un parfum oh combien humain…
Angélique aperçoit une minuscule sauterelle sur une fleur du citronnier. Elle s’extasie d’abord devant cette merveille de la nature. Seigneur que ne faites vous pas pour nos sens en éveil! Elle regarde de plus près et soudain il lui semble voir le diable. Elle retire promptement la main de dessous son habit, se signe, rajuste sa cornette, s’évente, chassant les pensées comme on chasse les mouches  et s’assure que personne  ne l’a vue se laisser aller.

mercredi 30 mai 2018


Quelques mots doux


(Sylvain Azuré, verso, Bonneval, Tarn, 23 mai)




(Sylvain Azuré, recto, Paulinet, Tarn, 24 mai)



(Machaon Zèbre, Saint-Cirgue, Tarn, 27 mai) 

Après l’orage, les trombes d’eau et les torrents de boue,
je vous envoie quelques mots doux;
un Sylvain  Azuré en costume de soirée,
un Machaon Zèbre aux ailes déchirées,
un bouquet d’herbes folles au bord du sentier,
le chant du Rouge Queue de retour au nid,
le bonjour d’un enfant à huit heures du matin,
le parfum des platanes sur la place du village;
quelques mots légers, laissez les  venir,
ne tentez pas de les saisir,
leurs couleurs s'accrocheraient aux doigts,
laissez les se poser, ils sont pour vous.

mardi 29 mai 2018



Les foins


(Sur les hauteurs de Coupiac, Aveyron, 26 mai)

Les tracteurs tournent sur les hauteurs de Coupiac. C’est le temps des foins, il ne faut pas tarder, de violents orages sont annoncés. Le foin est coupé, roulé, ne reste plus qu’à charger les balles.
François en a encore pour une bonne heure, une heure sans penser, attentif aux manœuvres sur les pentes.
Puis il rentrera, il retrouvera sa femme et son fils Thomas*, il se remettra à penser. Il faut faire les comptes. Ce mois-ci il a fait un emprunt important pour son nouvel andaineur à double rotor. Une belle machine, l’andainage a été beaucoup plus rapide.Thomas en a fait un superbe dessin, il l’a affublée d’une tête de dragon écailleuse.
François aime bien les dessins de son fils, il a toute une collection de croquis de tracteurs, de moissonneuses batteuses, de presses botteleuses. Mais depuis quelque temps Thomas rajoute des fragments de corps pris dans les machines. François s’inquiète. Son fils a de grande qualité mais n’est pas un super-héros. Comme lui-même ne l’a jamais été, son seul fait d’arme est d’être monté au Larzac en mobylette en 74, c’est là qu’il a connu sa femme Martine. Ça tombait bien, Martine n’aimait pas spécialement les super-héros.
Le problème c’est que maintenant, si tu manques de force, tu as peu de chance. Thomas est désappointé, il n’a été admis dans aucune des formations auxquelles il avait postulé sur la plateforme Parcoursup, sa jambe tremble de plus en plus.
François ne sait pas comment l’aider. Il est convaincu que l’avenir tient dans ce bout de terre qu’il s’acharne à cultiver, dans ces bêtes qu’il élève avec attention. On se rendra bien compte un jour qu’on ne pourra pas faire sans eux, les petits paysans.
Comment convaincre Thomas de travailler à ses cotés, alors qu’il trime sept jours sur sept, ne prend jamais de vacances, passe des nuits blanches à compter, à faire le point sur les produits qu’il ne faut plus utiliser?
Cette nuit encore François ne cessera de penser, jusqu’à ce que Martine lui caresse la nuque, lui dise combien elle aime les plis de sa peau tannée à la base du crâne. Il lui dira qu’il l’aime, qu’il aime l’odeur de son cou, le parfum des foins coupés, et les vagues soufflées par le vent sur les blés verts. Il sera trois heures du matin et il s’endormira.

* Publication de la veille

lundi 28 mai 2018


Parcoursup


(Sur la D 9O3 entre Valence-d’Albigeois et Requista, 24 mai)

Dans le bus scolaire qui l’emmène au lycée, Thomas regarde distraitement le paysage, la tête contre la vitre, les écouteurs vissés aux oreilles. Led Zeppelin, Whole Lotta Love. Quand son père lui a donné son vieux 33 tours il y a deux ans, il a fait la fine bouche, c’est une musique de ringard lui a-t’il dit, maintenant il l’écoute en boucle.
Le paysage est doux aux premières lueurs.Thomas dessine ces collines depuis qu’il est tout petit, il a toujours dessiné, les collines, les hangars et les machines agricoles. Il voudrait partir, vivre en ville, faire une école d’art et de design, créer des pochettes de disque, inventer des machines, travailler avec des ingénieurs, des chercheurs, des artistes. Thomas a un joli coup de crayon, mais n’est pas très bon élève, un peu dyslexique, son dossier est très moyen, il habite un bled paumé. Aucun de ses vœux post bac sur la plateforme Parcoursup n’a été accepté, non, non, six fois non.
Thomas a la jambe qui tremble nerveusement, est-ce la peine de passer le bac? Il reste les écoles privées hors Parcoursup mais il sait que ses parents n’ont pas les moyens et puis son père aimerait bien le voir travailler avec lui à la ferme, prendre la suite. Ce n’est pas ça qu’il veut. pourquoi ne lui laisse-t’on pas une chance?
Thomas regarde les collines, le ciel, ferme les yeux et monte le son de son iPod.

dimanche 27 mai 2018


Miniatures éphémères
Rencontre au sommet


(Alpiniste et Chrysolina Rossia en plein champ, Saint-Cyprien-sur-Dourdou, Aveyron, 6 mai)

la Chrysolina est plutôt discrète, l’alpiniste est un taiseux. Alors on se saluera et on parlera simplement du balancement des herbes et des orages à venir.

samedi 26 mai 2018





(Sur les hauteurs de Coupiac, Aveyron)


Les pierres qui affleurent sur le chemin
le cri de la buse
j’ai dix ans

vendredi 25 mai 2018


Horizon


(Saint-Cirgue, Tarn)

Les infos de six heures, le soleil qui se lève, 
je m’arrête au premier point de vue; 
m’assurer qu’il y a toujours un horizon.

jeudi 24 mai 2018


Les chemins creux


(Entre Bonneval et Les Grens, Tarn, 23 mai) 

J’aime tant les chemins creux.
Ils ont enveloppé mes étés d’enfance en Ariège.
Des générations ont pas à pas creusé la terre, roulé les pierres,
abandonnant aux branches quelques lambeaux de rêves et de frayeurs.
Le paysan conduit ses bêtes,
l’enfant crie au loup,
le révolté fuit,
la messagère court porter la nouvelle,
les amants se poursuivent,
le voyageur s’égare,
le vieillard trébuche,
l’entomologiste s’arrête.
En Ariège, en Corrèze, en Béarn, en Navarre, en Soule, en Aveyron…
Et ailleurs, du nord au sud, de l’est à l’ouest,
d’un clocher à l’autre,
j’aime tant les chemins creux.

mercredi 23 mai 2018


La maison de Lucien


(Saint-Cirgue, Tarn)

Me voici pour quelques temps entre Tarn et Aveyron. Je repasse par des chemins familiers. Il y a deux ans j’avais déjà photographié cette maison à Saint-Cirgue. Dans le billet du 24 juin 2016 intitulé Lassitude, je racontais l’histoire de Lucien et de son chien Batman. Les volets au premier étage n’étaient qu’à peine entrouverts, la machine agricole était totalement couverte.
Ce récit fait partie des textes choisis pour le spectacle « Le Pas de la Tortue ». Entre répétitions et représentations, j’ai souvent raconté l’histoire de Lucien, si souvent qu’elle est devenue vraie.
Alors aujourd’hui devant la maison de Lucien, je m’arrête, je frappe à la porte. Batman aboie, Lucien vient ouvrir. Il est rasé de près, porte une chemise de flanelle sur son maillot de corps, un pantalon de toile bleue et des charentaises. Batman se jette sur moi pour jouer comme s’il me connaissait depuis toujours. Lucien me fait entrer. Ses chaussures sont au pied de l’escalier,  son feutre élimé couvre le poteau de départ. La radio grésille, Trump, la Palestine, Macron, les violences policières, je n’ai toujours pas fait la poussière me dit-il.
Sur une table recouverte d’une toile cirée à carreaux rouges, un poron plein. Nous buvons. Le vin est corsé.
Le 3 juin c’est la fête de la brebis à Requista. Nous y irons ensemble.

mardi 22 mai 2018


L'élégance du coléoptère


(Saint-Léons, Aveyron)

C’est à Saint-Léons, le village natal de Jean-Henri Fabre, dans la vallée de la Muse. 
L’élégance du coléoptère sur la vipérine me rappelle combien nous devons prendre soin les uns des autres.

lundi 21 mai 2018


Rolling Stones


(Vaucresson)

Ce matin
l’insolente beauté de l’Iris
les jambes qui frémissent
le bassin qui tangue
Mai 68
la pochette mauve d’Aftermath
mon premier disque
sur le Teppaz de ma sœur

dimanche 20 mai 2018



Miniatures éphémères
Pois de senteur


(Vaucresson, 13 mai)

Le surfeur s’abandonne aux remous après la chute,
l’amant se perd dans les volants d’une robe écarlate,
le vieil homme remet un peu d’eau aux pois de senteur.

samedi 19 mai 2018


Haïku du matin


(Vaucresson, 8 heures)

Nous ne sommes pas grand chose, et pourtant...

vendredi 18 mai 2018


La journée est finie


(Vaucresson, Pierre de Roland Vincent)

La journée est finie.
Les vaches viennent à l’abreuvoir d’un pas lourd, la queue chasse les mouches sur l’arrière train crotté.
La mère appelle l’enfant qui n’en finit plus de  faire glisser les têtards entre ses doigts. L’enfant ne répond pas, fasciné par la marre grouillante. La mère appelle plus fort, d’une voix aiguë, qui raisonne jusque chez les voisins qui font: Ah, c’est Jacqueline…
Le père pose son bâton contre le mur de la bergerie, ôte son béret, passe la main sur son crâne, et remet immédiatement le béret, un peu en arrière.
Lui n’appelle jamais l’enfant, il le laisse faire. Il sait le prix de la liberté.
L’enfant rentre enfin, en courant, comme toujours. Il ne marche pas, jamais, il court ou il reste immobile. Il regarde, il écoute, il touche, puis il court. Il y a urgence à découvrir le monde.
Le père et l’enfant sont assis à la table de bois. La mère serre la soupe. L’enfant fait tourner les yeux du bouillon dans l’assiette.
Dans l’étable, il fait chaud, on entend le souffle des vaches.
Les fleurs se sont fermées, les chauves souris strient le ciel de leur vol vif.
Le père s’est endormi, il ronfle. La mère lui caresse le ventre, les ronflements cessent. Ils reprendront quelques instant plus tard.
L’enfant ne dort pas, il écoute les chiens errant qui aboient dans la nuit.
Sous le noisetier la pierre endormie recueille les rêves des derniers venus.

La Huitième Armée


(Rijks  Museum, Amsterdam, 30 octobre 2015)

Le fleuve impétueux emporte hommes et chevaux. Le lieutenant Richard est assis sur la pierre froide, le regard vide, d’une insondable tristesse. Ses camarades viennent de disparaître dans les eaux glacées. La barque gît retournée, échouée sur un rocher au milieu de la rivière. Déjà les poissons affamés se repaissent des chairs déchiquetées.
Richard caresse le plumeau de son casque posé à ses pieds. Un geste lent, infiniment doux, les doigts qui passent et repassent sur le poil, un geste pour oublier les marches forcées, les pieds blessés et gelés, les membres arrachés, la dysenterie, le scorbut, le choléra, un geste qui va et vient sur la plume rouge de Casoar. Les doigts sur les ailes d’un oiseau, fuir l’effroyable tintamarre.
Il aurait fallu inventer le tracteur, un puissant tracteur, y atteler cette terre ensanglantée, la tirer jusqu’à la Baltique, l’y déposer en offrande aux marées, puis labourer et semer à nouveau, blé, sarrasin, luzerne et colza, y planter de nouveaux étendards, étendards sans appartenance dont nul conquérant narcissique ne pourra jamais s’emparer.
Richard se relève, remet son casque, le sang poisse, la boue colle.
Richard suit la rive d’un pas lourd. Il est seul, absolument seul.
Une grue cendrée se pose à quelques pas. Cet homme sans force ne l’effraie pas. Elle s’approche, tend le cou, bat des ailes. Richard frémit. Il entend la voix d’Hélène lui chuchoter: Encore un peu mon amour, encore un peu.
Alors Richard accélère, entonne une chanson, à mi-voix, d’abord puis de plus en plus fort, une  chanson de marin, de port et d’espoir, une chanson à boire.
Quand Richard  rentre en France, six mois plus tard, il est méconnaissable, les joues creuses, une longue barbe, les cheveux blanchis.
Hélène le serre dans ses bras. Elle l’a attendu. Il est si maigre. Où est ce grand corps qu’elle étreignait autrefois? Qu’est devenu la flamme  de son regard?
Il faudra du temps, il faudra parler, raconter, raviver l’œil. C’est elle qui parlera la première, oui, il faudra du temps, le laisser revenir à elle.
La première histoire qu’elle lui raconte est celle de cette grue cendrée qui s’est un jour posée dans le jardin. L'oiseau avait une plume rouge.

mercredi 16 mai 2018


"La Tentation des Pieuvres"


(Nanterre, Hauts-de-Seine)

C’est la maison de la musique à Nanterre. La programmation y est formidable et Samir y fait un délicieux thé à la menthe. Ce fut une belle soirée. « La Tentation des Pieuvres », spectacle repas pour un cuisinier et quatre musiciens. Claudius Tortorici prépare une bourride de petites seiches tandis que les quatre musiciens, Maguelone Vidal au saxophone, Christian Zanési à l’électronique, Didier Petit au violoncelle et Philippe Foch à la batterie nous conduisent au cœur  des secrets du cuisinier. Nous sommes surpris par la plainte discrète de la pomme de terre qu’on épluche, nous plongeons dans l’eau frémissante, compatissons au chant du poireau coupé en tranches, tremblons jusqu’à la transe à la montée de la mayonnaise. Vapeurs et parfums se distillent, l’ail jaillit du pressoir, la cymbale raisonne, le saxophone glougloute, le maître queue nous jette des coups d’œil malicieux, le violoncelliste joue du bois, les voix nous disent la morsure du feu, la détresse de la seiche,  et l’appétit vient, vient….
On sonne les cloches, le plat est prêt, les musiciens abandonnent leurs instruments et viennent nous servir. Cette bourride de petites seiches servie avec un côte du Rhône blanc est absolument délicieuse.

mardi 15 mai 2018


L'habit fait le moine


(Lycée technique des métiers du vêtement, Paris 11ième)

Je viens essayer un costume pour un prochain spectacle. Je serai un moine savant, architecte, philosophe, historien, détective… Le costume est ample, lourd. Une robe de soie blanche puis une robe de soie noire, enfin un épais manteau de laine blanche. Deux jeunes filles s’affairent autour de moi, retroussent les manches, le bas du manteau, piquent le tissu d’aiguilles à têtes colorées.  Ainsi vêtu, immédiatement je suis un autre. Mystère de la coupe et de la matière, ces étoffes me transforme, je sens sur mes épaules le poids du savoir. Le costume me confère une autorité naturelle, d’un geste, je me sens capable de faire danser ces mannequins sans tête.
Je suis arrivé  les pieds en canard, portant une chemise à fleurs et un large pantalon, ému par les gros titres des journaux, me voici plus grand, plus sage, la démarche droite et sûre.

lundi 14 mai 2018



Mikis


(Vaucresson, 13 mai)

Ils sont arrivés un lundi. Deux camions blancs chargés de métal. Raymonde était à sa fenêtre, comme toujours depuis qu’elle ne sort plus. Raymonde n’a plus personne, alors elle ne sort pratiquement plus; une fois par semaine pour faire ses courses, petites courses pour un appétit de moineau.
Il étaient cinq ouvriers, trois noirs, deux blancs. Ils gueulaient en déchargeant les camions, des pièces d’échafaudage qui s’entrechoquaient violemment.
L’après-midi, ils étaient repartis. Ne restaient que les piles de métal gris sur la prairie au pied de l’immeuble. Raymonde s’est dit que le gazon allait souffrir. C’est dommage, juste quand il commence à se couvrir de pâquerettes.
Ils sont revenus le lendemain, tous les cinq, les mêmes, en combinaisons blanches. Raymonde était à son poste. Elle les observait tandis qu’ils montaient l’échafaudage le long de la façade.
L’un d’entre eux, pâle, de grands yeux noirs, avaient des dreadlocks et une barbe courte. Quand l’échafaudage est arrivé à la hauteur de la fenêtre de Raymonde, il l’a saluée avec un grand sourire.
Raymonde a répondu d’un geste timide, mais n’a pas osé ouvrir la fenêtre. Elle a détourné son regard et a fait semblant de  s’affairer.
On lui avait dit que les travaux de ravalement allait durer plusieurs semaines. Elle avait d’abord été inquiète. Il y aurait du bruit, on pourrait rentrer chez elle par la fenêtre…
Mais chaque jour elle est là, elle les regarde travailler. Et puis l’homme aux dreadlocks la salue chaque matin.
Maintenant elle ouvre sa fenêtre, ils échangent quelques mots. L’homme a un fort accent, que Raymonde n’arrive pas à identifier, mais qui lui rappelle quelque chose, quelque chose de très lointain, quelque chose d’agréable. Elle aime sa voix.
Parfois elle leur prépare un café. Ils le boivent accoudés à la rambarde. Au bout de deux semaines elle sait qu’ils l’aiment corsé, comme l’aimait son mari.
Les travaux avancent, le nettoyage est terminé, ils en sont à la peinture,  ils jouent du rouleau du soir au matin. L’homme au  dreadlocks lui a  dit son nom, Mikis; souvent il chante. Décidément elle aime bien sa voix.
C’est la cinquième semaine. Hier ils ont rangé les pots, les rouleaux et les pinceaux. Ce matin ils vont démonter l’échafaudage. Mikis s’est présenté à sa fenêtre avec un bouquet de fleurs, des pois de senteurs. Il a remercié Raymonde pour les cafés, il s’est excusé du dérangement, et il a rejoint ses collègues à l’étage au dessus.
Raymonde entend le choc métallique des éléments que l’on descend. Elle regarde les pois de senteur, une étoffe, une robe, une danse et cette voix, mais oui cette voix, ce timbre, cet accent, c’était… Elle plisse le front, passe doucement ses doigts sur ses lèvres comme elle fait chaque fois qu’elle réfléchit intensément. Rien d’autre n’affleure que cette sensation si familière…
Elle se sent soudain si seule.

samedi 12 mai 2018

vendredi 11 mai 2018


Disparition


(Venise, 22 janvier)

Les portes se ferment, une à une.
Déjà le nom est effacé. Le corps se tasse, le visage s’éteint.
À la toute fin disparaîtront les mains tremblantes qui n’ont plus la force de se tendre.

jeudi 10 mai 2018


Une Danse


(La Salle, Saint-Cyprien-sur-Dourdou, Aveyron, 5 mai)

Après le passage de la troupe, 
il a mis ses rêves à sécher au soleil, 
il s’est allongé dans l’herbe, 
il a regardé chaque brin se redresser 
et se remettre à danser.

mercredi 9 mai 2018


Le goût du vin


(Saint-Cyprien-sur-Dourdou, Aveyron, 2 mai)

Une mauvaise tumeur lui a ôté l’odorat. Le goût est encore là, mais elle le sent lentement se délayer. Alors elle fixe chaque détail du carré de vigne dans la lumière pour se souvenir du goût du vin. Aujourd’hui c’est un verre de Marcillac.

mardi 8 mai 2018


Un soupçon de désir


(Conques, Aveyron, 3 mai)

Les premiers martinets crient au dessus de l’abbaye,
les coquelicots s’ouvrent le long des chemins,
les marcheurs découvrent leurs jambes et leurs épaules,
un soupçon de désir agace le vieil homme.

lundi 7 mai 2018


"Silencieuse-Jusqu'au-dégel"


(Coquelicot, La Salle, Saint-Cyprien-sur-Dourdou, Aveyron, 4 mai)


« Son nom raconte comment
cela se passait avec elle.

La vérité est qu’elle ne parlait pas
en hiver.
Chacun avait appris à ne pas 
lui poser de questions en hiver
une fois connu ce qu’il en était.

Le premier hiver où cela arriva
nous avons regardé dans sa bouche pour voir
si quelque chose y était gelé. Sa langue 
peut-être, ou quelque chose d’autre au dedans.

Mais après le dégel elle se remit parler
et nous dit que c’était merveilleux ainsi pour elle.

Aussi, à chaque printemps
nous attendions, impatiemment. »

           ( Ext. de Partition Rouge, Anthologie, poèmes et chants des indiens d’Amérique du Nord,  traduits et présentés par Jacques Roubaud et Florence Delay, éditions du Seuil)

dimanche 6 mai 2018


Miniatures éphémères
L'opulence des Pivoines

 
Le roi Pivoine


Le prince Pivoine


 La reine Pivoine


samedi 5 mai 2018


L'Aubrac


( Sur le GR 65 entre Nasbinals et Aubrac, Lozère puis Aveyron)

Le regard porte loin
l’air est vif
nous cheminons
côte à côte
sans un mot

vendredi 4 mai 2018


Mon chemin


(Saint-Cyprien-sur-Dourdou, Aveyron)

Mon chemin ne va pas bien loin, 
ne va pas bien haut, 
mais c’est le mien, 
il me va bien.

jeudi 3 mai 2018


Un baiser


(Le Plateau d’Hymes, Aveyron)

Chaque jour devrait commencer ainsi:
Un baiser.

mercredi 2 mai 2018


Madame Fenaille


(Hotel de Jouéry, Rodez, Aveyron)

À l’hôtel de Jouéry, Madame Fenaille attend ses invités. Elle regarde par le petit vitrail qui donne sur la cour intérieur. Elle est d’une élégance rare. La lumière joue dans les plis de sa robe bleu-outremer serrée à la taille. La tête légèrement penchée elle passe son doigt sur le cou du cygne, caresse le dos, revient au bec qu’elle effleure…Elle aurait aimé que Monsieur Rodin soit là ce soir, hélas il est à Paris…Elle mouille son doigt, essaie d’effacer les taches sur le verre, délicatement. C’est sa nature, absolument délicate. Le verre est froid. Ce discret contact entre la pulpe du doigt et la matière…Elle se souvient du jour elle s’est endormie alors qu’elle posait pour Rodin. La séance était si longue. Il était là, ses mains puissantes œuvrant la terre, et elle s’est endormie…
Il en a fait ce merveilleux portrait aux yeux clos. Elle revient au cygne, l’effleure encore, ferme les yeux… peu importe qui vient ce soir.

mardi 1 mai 2018


Le Sourire de l'Éternité


(La Salle, Saint-Cyprien-sur-Dourdou, Aveyron)

1er mai. Voilà un mois que je n’ai pas joué. Je reprends la route. À peine le contact mis j’entends à la radio la voix délicieuse de Patricia Petibon qui chante en brésilien puis qui nous rapporte avec émotion ces quelques mots de Didier Lockwood: Sais-tu ce qu’est le sourire de l’éternité? La transmission.
La pluie s’est arrêtée. Au bord des routes le rouge des coquelicots, le mauve des lilas, en plein champs le jaune vif du colza.
Au bout une cabane, un étang, le chant des grenouilles et des oiseaux. Demain je joue à Rodez.