mardi 29 mai 2018



Les foins


(Sur les hauteurs de Coupiac, Aveyron, 26 mai)

Les tracteurs tournent sur les hauteurs de Coupiac. C’est le temps des foins, il ne faut pas tarder, de violents orages sont annoncés. Le foin est coupé, roulé, ne reste plus qu’à charger les balles.
François en a encore pour une bonne heure, une heure sans penser, attentif aux manœuvres sur les pentes.
Puis il rentrera, il retrouvera sa femme et son fils Thomas*, il se remettra à penser. Il faut faire les comptes. Ce mois-ci il a fait un emprunt important pour son nouvel andaineur à double rotor. Une belle machine, l’andainage a été beaucoup plus rapide.Thomas en a fait un superbe dessin, il l’a affublée d’une tête de dragon écailleuse.
François aime bien les dessins de son fils, il a toute une collection de croquis de tracteurs, de moissonneuses batteuses, de presses botteleuses. Mais depuis quelque temps Thomas rajoute des fragments de corps pris dans les machines. François s’inquiète. Son fils a de grande qualité mais n’est pas un super-héros. Comme lui-même ne l’a jamais été, son seul fait d’arme est d’être monté au Larzac en mobylette en 74, c’est là qu’il a connu sa femme Martine. Ça tombait bien, Martine n’aimait pas spécialement les super-héros.
Le problème c’est que maintenant, si tu manques de force, tu as peu de chance. Thomas est désappointé, il n’a été admis dans aucune des formations auxquelles il avait postulé sur la plateforme Parcoursup, sa jambe tremble de plus en plus.
François ne sait pas comment l’aider. Il est convaincu que l’avenir tient dans ce bout de terre qu’il s’acharne à cultiver, dans ces bêtes qu’il élève avec attention. On se rendra bien compte un jour qu’on ne pourra pas faire sans eux, les petits paysans.
Comment convaincre Thomas de travailler à ses cotés, alors qu’il trime sept jours sur sept, ne prend jamais de vacances, passe des nuits blanches à compter, à faire le point sur les produits qu’il ne faut plus utiliser?
Cette nuit encore François ne cessera de penser, jusqu’à ce que Martine lui caresse la nuque, lui dise combien elle aime les plis de sa peau tannée à la base du crâne. Il lui dira qu’il l’aime, qu’il aime l’odeur de son cou, le parfum des foins coupés, et les vagues soufflées par le vent sur les blés verts. Il sera trois heures du matin et il s’endormira.

* Publication de la veille

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