lundi 14 mai 2018



Mikis


(Vaucresson, 13 mai)

Ils sont arrivés un lundi. Deux camions blancs chargés de métal. Raymonde était à sa fenêtre, comme toujours depuis qu’elle ne sort plus. Raymonde n’a plus personne, alors elle ne sort pratiquement plus; une fois par semaine pour faire ses courses, petites courses pour un appétit de moineau.
Il étaient cinq ouvriers, trois noirs, deux blancs. Ils gueulaient en déchargeant les camions, des pièces d’échafaudage qui s’entrechoquaient violemment.
L’après-midi, ils étaient repartis. Ne restaient que les piles de métal gris sur la prairie au pied de l’immeuble. Raymonde s’est dit que le gazon allait souffrir. C’est dommage, juste quand il commence à se couvrir de pâquerettes.
Ils sont revenus le lendemain, tous les cinq, les mêmes, en combinaisons blanches. Raymonde était à son poste. Elle les observait tandis qu’ils montaient l’échafaudage le long de la façade.
L’un d’entre eux, pâle, de grands yeux noirs, avaient des dreadlocks et une barbe courte. Quand l’échafaudage est arrivé à la hauteur de la fenêtre de Raymonde, il l’a saluée avec un grand sourire.
Raymonde a répondu d’un geste timide, mais n’a pas osé ouvrir la fenêtre. Elle a détourné son regard et a fait semblant de  s’affairer.
On lui avait dit que les travaux de ravalement allait durer plusieurs semaines. Elle avait d’abord été inquiète. Il y aurait du bruit, on pourrait rentrer chez elle par la fenêtre…
Mais chaque jour elle est là, elle les regarde travailler. Et puis l’homme aux dreadlocks la salue chaque matin.
Maintenant elle ouvre sa fenêtre, ils échangent quelques mots. L’homme a un fort accent, que Raymonde n’arrive pas à identifier, mais qui lui rappelle quelque chose, quelque chose de très lointain, quelque chose d’agréable. Elle aime sa voix.
Parfois elle leur prépare un café. Ils le boivent accoudés à la rambarde. Au bout de deux semaines elle sait qu’ils l’aiment corsé, comme l’aimait son mari.
Les travaux avancent, le nettoyage est terminé, ils en sont à la peinture,  ils jouent du rouleau du soir au matin. L’homme au  dreadlocks lui a  dit son nom, Mikis; souvent il chante. Décidément elle aime bien sa voix.
C’est la cinquième semaine. Hier ils ont rangé les pots, les rouleaux et les pinceaux. Ce matin ils vont démonter l’échafaudage. Mikis s’est présenté à sa fenêtre avec un bouquet de fleurs, des pois de senteurs. Il a remercié Raymonde pour les cafés, il s’est excusé du dérangement, et il a rejoint ses collègues à l’étage au dessus.
Raymonde entend le choc métallique des éléments que l’on descend. Elle regarde les pois de senteur, une étoffe, une robe, une danse et cette voix, mais oui cette voix, ce timbre, cet accent, c’était… Elle plisse le front, passe doucement ses doigts sur ses lèvres comme elle fait chaque fois qu’elle réfléchit intensément. Rien d’autre n’affleure que cette sensation si familière…
Elle se sent soudain si seule.

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