mardi 26 novembre 2019


Le marais d'Arleux

 
(Palluel, Pas-de-Calais, 11h)

Un jour, au petit matin, après avoir marché toute la nuit dans Paris endormi, j’entrai dans un café où tout, du moindre objet aux vêtements des clients et serveurs datait du 19ième siècle. J’eus l’extraordinaire et douce sensation de glisser dans le temps. Il s’agissait du tournage d’un film d’époque. J’étais entré sans m’en rendre compte, l’esprit brouillé par la fatigue et une légère ivresse. Personne n’avait fait attention à moi, j’étais invisible.
Ce matin, sur un chemin boueux entre Arleux et Palluel, je retrouve cette étrange sensation.
Le ciel est gris, épais. La terre grasse et humide s’accroche aux crans des semelles. De part et d’autre du sentier, dans les marais, canards et poules d’eau s’en donnent à cœur joie. Les taillis sont trop denses pour accéder aux berges des étangs. Les feuilles qui tardent à tomber font quelque taches jaunes et rouges dans cet enchevêtrement de vert de gris. Un vent léger agite les plumeaux des roseaux, par moment une fine bruine me picote le visage.
Je suis en compagnie de Jean-Baptiste Camille Corot. Il porte une veste noire de drap épais et  une large casquette qu’il soulève en passant devant l’alignement d’arbres taillés. Ce sont mes camarades de mélancolie, me dit-il. Alors moi aussi je salue les arbres, comme je n’ai pas de chapeau, je fais une révérence, un pas de danse dans la boue. Camille rit, un oiseau effrayé s’envole des fourrés, je me dis que je suis en bonne compagnie.


(Corot, Marais d'Arleux, 1871)

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