mercredi 10 mars 2021


Le rêve de la sentinelle

(Orval, Belgique, 6 mars, 9h 20)

C’était il y a longtemps.

Un garde en arme s’était endormi dans sa tourelle à l’angle de la place forte.

Un sommeil agité, peuplé d’envahisseurs belliqueux égorgeant à tour de bras, 

faisant fuir jusqu’aux oiseaux qui s’en allaient en nuées.

Il fut réveillé par le silence, un silence effroyable. 

Dehors tout n’était que ruines fumantes et noires.

Ça et là gisaient des corps transpercés par des pieux, du bétail éventré, des têtes sanglantes posées sur des pierres.

Le vent même semblait avoir été chassé, les arbres tétanisés par l’effroi.

Le garde était le seul être vivant à des kilomètres à la ronde.

Seuls deux pans de mur et l’échauguette à l’angle tenaient encore debout.

Comment et pourquoi cet homme et ces pierres furent épargnés, nul ne le sait. 

Comme s’ils avaient été invisibles le temps de l’assaut.

Le garde ne voulut croire en sa vision, il était toujours dans son cauchemar, pensait-il, il avait rêvé de son réveil, il dormait encore, il fallait qu’il se rendorme dans son rêve, pour se réveiller vraiment.

Il ne quitta pas la guérite, il se rendormit, la tête contre la pierre. 

C’est un oiseau qui le réveilla cette fois ci, un oiseau de retour, un rouge-gorge.

Dehors, l’horreur était toujours là, telle quelle.

L’homme se dit que c’était décidément un long, très long cauchemar, mais qu’un jour son réveil serait réalité.

Il entreprit alors d’enterrer les morts, puis de reconstruire ce qui pouvait l’être.

Chaque soir il retournait dormir dans la poivrière, convaincu qu’un matin son rêve prendrait fin.

Puis d’autres hommes sont arrivés, de loin. Ils cherchaient une terre où fonder une communauté de paix.

Le garde les a accueillis, a accepté leur aide pour remonter les murs. 

Il ne parlait pas de son rêve, ce n’était pas nécessaire puisqu’eux-mêmes en faisaient partie.

Il s’étonnait seulement de la durée du songe, s’amusait de se voir vieillir, se disant combien les rêves chamboulaient le temps.

D’autre oiseaux revinrent se poser sur les branches bruissant au vent. 

La vie revint petit à petit au cœur de l’ancienne forteresse.

Un jour l’on vit des hommes et des femmes se héler d’un étal à l’autre sur une place, et des enfants courir en criant.

Ce jour là l'homme ne retourna pas dormir dans sa tourelle, il ne voulait plus quitter son rêve.


 

1 commentaire: