Le fleuve
Au port de Kourou il y avait un gars avec une gueule d’acteur immobile sur le ponton devant le patrouilleur.
« Le fleuve est une drogue douce. Il y a ce danger obscur d’être absorbé, digéré par le temps aboli. » (Bernard Giraudeau, Le Marin à l’Ancre)
Je passais. J’allais en ville faire le spectacle pour une volée d’enfants de Kourou..
Je me suis trouvé face à de la dynamite, une bombe à retardement. Des mômes entre trois et six ans qui hurlent, éclatent de rire, tapent des pieds et des mains au moindre évènement. Ma parole se perdait dans ce joyeux vacarme. Que retiendront-il de l’histoire? Je ne sais pas. Pourtant, il n’y avait aucune animosité, seulement une énergie incontrôlable. Les enseignantes étaient au bout du rouleau. Au cours d’une deuxième séance, il y avait en tout neuf classes de vingt cinq enfants, je m’adaptai, ne lâchai pas les rênes, baissai la voix, minorai les effets. Cette fois ci chaque mot fut entendu, mais il était certain qu’au moindre faux pas ce serait l’explosion.
Voilà trois semaines que je suis ici. C’est la première fois que je vois des petits à ce point survoltés. Je viens régulièrement depuis une quinzaine d’année.
Sur ce bout de terre entre mer et forêt il y a un tel abandon du corps enseignant et des politiques.
Bien sûr il y a des personnes extraordinaires, et j’en rencontre tous les jours, qui font leur métier avec une foi sans faille, mais ils sont noyés dans l’inertie et la corruption générale.
Il est d’autant plus nécessaire de venir ici raconter aux petits. Mais qui pour prendre soin de ce qu’on sème?
À mon retour, en retraversant le fleuve, j’ai des visions de cette promesse d’insensée déflagration.
Un instant, je suis tenté par cette drogue douce, me laisser aller, me laisser digérer par le temps aboli.
Et puis non, il faut persister. Ce ne sont pas les illusions qui comptent, elles sont trop fragiles, c’est l’amour, pour ce que nous sommes, bons et mauvais.
Ô, Pierre ! Merci, Pierre ! Merci de nous raconter ! Les souvenirs se bousculent. Sache que je t'embrasse et te serre sur mon coeur. Enfants des Halles de Schaerbeek des années septante et enfants des rues de Kourou des années 2020, même combat ! De chaque jour ! La présence quotidienne et fatigante des anonymes qui ne baissent pas les bras ! Ce sont eux, le sel de la Terre ! C'est toi et toute ton expérience d'acteur qui font le terreau de la poésie, de la découverte de la profondeur de la vie et de la joie de la vivre. Merci à toi, Pierre, et à ton Art ! Philippe (Piccolomini).
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