mercredi 31 mai 2023


Feuille de  bananier 

(Cayenne, 26 mai, 12h 45)

Prends papier, froisse papier, donne moi papier froissé, je lis toi, passé futur, dans papier froissé.

Ainsi parlait Igor, le voyant syldave de Mazères-sur-Salat*.

Je le retrouve ici en Guyane. Il a troqué son break Subaru bleu pour un pick-up Toyota blanc déjà bien mangé par la rouille.

Il me raconte qu’à trop lire dans le papier froissé, il ne voyait plus rien. Ou bien était-ce que l’avenir devenait totalement imprévisible et que les mémoires se brouillaient.

Un jour, un cultivateur lui apprit que le processus de domestication des bananes avait commencé en Asie, il y a 7000 ans. Il se dit que la relation entre l’homme et le bananier devait être forte et bavarde et qu’il y aurait beaucoup à lire dans les larges feuilles de cet arbre qui n’en est pas un mais une herbacée.

Il fallait aller à la source, au végétal. Il a parcouru l’Asie, l’Afrique, affinant ses visions, apprenant petit à petit à quel moment lire la feuille de bananier, suffisamment sèche pour s’enrouler sur elle même, mais bien avant la décomposition, apprenant à lire le déploiement des formes sur les superpositions d’autres éléments.

Le voici maintenant ici, de Saint-Georges à Saint-Laurent, il va de jardin en jardin, déchiffrant les feuilles de bananier. 

Montre moi jardin, je lis toi, passé futur, dans feuille banane.

Ainsi parle Igor, le voyant syldave de Guyane


Ce matin à Mana, au centre d’art  et de recherche Carma, je rencontre l’artiste Ama, qui depuis vingt cinq ans travaille sur des feuilles de bananier. Il est fils et petit fils de cultivateur de bananes. Il a commencé ce travail sur les feuilles à la naissance de sa fille. 

Actuellement il s’intéresse aux textes sacrés et écrit sur les feuilles avec des lettres d’alphabet arabe en métal. Le métal chauffé grave la feuille. Il place les lettres de façon aléatoire.

Il serait interessant de les déchiffrer, nous y trouverions sûrement un sens.

Vingt cinq ans de travail sur des feuilles de bananier.

Travail fascinant et merveilleux.

Une vie sur les feuilles de bananier.

Je lui parle d’Igor, il sourit, son regard brille. Se connaissent-il?


*Premier post de ce blog, 19 septembre 2015.



(Œuvres de Ama, Feuilles de bananier, fibres et papier, Centre d’art et de recherche Carma, Mana, Guyane, 11h 20)




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