samedi 6 mai 2023


Métamorphose

Arthur et le Vieux 

(Rorota, Rémire-Montjoly, Guyane, 5 mai, 10h 30)

Le Vieux croit tout ce qu’on lui raconte.

Du moins ce à quoi il a envie de croire, ce qui adoucit le souci, ce qui transforme les larmes en pluie, ce qui ensemence.

Il attrape ce qu’il entend, ce qu’il voit, ce qui existe et ce qui n’existe pas, et il raconte, à son tour.

Il raconte à Arthur.

Arthur croit le vieux, parce que c’est le vieux.

Il écoute, et il expérimente. Si l’expérience dit le contraire de ce qu’a raconté le vieux, ce n’est pas grave, il se dit qu’il n’y a pas d’âge pour être un peu couillon.

Un soir le vieux à dit:


C’était en Guyane, dans la forêt, la forêt géante, la forêt maman, au bord de l’eau, l’eau musique, l’eau lavée, après l’averse, le soleil faisait des étoiles et des galaxies entre les feuilles.

Je me suis enroulé dans un drap de feuilles mortes. Je suis devenu chenille. Je sentais toutes ces petites pattes  prêtes à chatouiller le monde. Puis je suis devenu papillon. Un grand papillon, bleu sur le dessus, le bleu des yeux de ta grand-mère, le bleu du ciel et de la mer un dimanche à Marseille, et brun sur le dessous, avec des yeux pour éloigner le danger et découvrir l’inconnu. Je me suis envolé au dessus des feuilles, au dessus de l’eau, vers les grands arbres.

J’étais si léger. Je ne possédais plus rien. Seulement une soif de connaissance et un amour infini pour ce qui m’entourait. Tu ne peux pas imaginer la quantité d’insectes, serpents, grenouilles, oiseaux, animaux que j’ai rencontrés. J’ai pu discuter avec quelques uns qui se sont présentés et m’ont un peu parlé de leur vie en forêt comme la sauterelle-feuille qui se déguise en feuille  pour ne pas se faire manger ou la petite grenouille dendrobate bleue et jaune qu’il ne vaut mieux pas caresser car elle est venimeuse, ou encore le gros macrodontia, un coléoptère dont les élytres portent des motifs africains et qui m’a dit de me méfier des chasseurs de papillons.

Hé bien, ça n’a pas loupé, je me suis retrouvé coincé dans un filet, une longue épuisette aux mailles très fines. Impossible de me sortir de là. Je me voyais déjà piqué dans une boite posée sur l’étagère d’un collectionneur.

Mais quand le chasseur a voulu me prendre entre ses doigts, je suis redevenu le Vieux. 

Quelle ne fut pas ma surprise de reconnaitre Franck, un ami de là-bas  passionné par les papillons.

Merde alors, a-t-il dit, c’est toi… comment… Je t’ai pris pour un papillon, un Morpho… Oh là là….

Franck s’est excusé et m’a invité à diner. 

Après quelques verres, il m’a dit: Tu étais quand même pas mal en Morpho…

Je crois que maintenant il ne chasse plus les papillons.


Le Vieux a souhaité une bonne nuit à Arthur et a déposé un baiser sur sa joue. Un baiser papillon, un leger battement de cils sur la joue.


Le lendemain, alors que tout le monde dormait encore à la maison, Arthur s’est levé, est sorti sans faire de bruit, et s’en est allé jusqu’au parc où il s’est enroulé dans un drap de feuilles mortes. C’est le jardinier municipal, un guyanais, qui l’a découvert en passant la souffleuse.

Arthur le connait bien, il reste parfois des heures à le regarder travailler. 

Arthur a expliqué pourquoi il était sous les feuilles. L’homme a écouté Arthur. Il lui a dit:

Tiens, tiens, pourquoi pas… Mais pour ça il faut aller dans une forêt géante, une forêt maman.

Je la connais cette forêt. Un jour tu  pourras y aller.  En attendant rentre vite avant que tes parents s’inquiètent.




(Morpho Menelaus Didius, Mont Grand Matoury, Guyane, 11h 15)


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