jeudi 18 avril 2019


La sorcière de Bigiston


(Bigiston, Suriname, 31 mars)

Elle s’appelait Angélique. C’était une riche hollandaise follement amoureuse d’un piroguier.
Il avait cédé à ses manières de prédatrice implacable. Elle l’avait longtemps tenu, ignorant l’esprit de liberté qui fait les hommes du Maroni. Inassouvie, elle aurait aimé le garder à demeure entre ses jambes. Elle ne pouvait vivre sans le parfum musqué de sa peau. Quand il s’absentait plus d’une journée pour une course sur le fleuve, avant de le laisser partir elle enfouissait sa tête sous ses bras, entre ses cuisses, où l’odeur est la plus vive, elle se frottait comme une chienne jusqu’à imprégner sa chevelure noire. Elle ne se lavait pas jusqu’à son retour.
Un jour l’homme n’est pas revenu. Avait-il été pris par les rapides? Ou bien s’était-il enfui, lassé de ce carcan de chair.
Angélique ne pouvait imaginer qu’il l’ait abandonnée, encore moins qu’il ait fait naufrage. Son amour était tel, que son homme ne pouvait qu’être immortel.
Elle l’avait attendu sa vie entière sur la rive, se desséchant au soleil des tropiques. Du lever au coucher elle attendait au même endroit, les paupière tombantes à force de chagrin.
Les enfants ignorant les tourments de l’amour la surnommait la sorcière.
On dit qu’elle est toujours là, sèche et figée, un siècle plus tard.

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